Diner seul au restaurant ça reste tout un art, du moins pour moi. Il faut savoir montrer que c'est volontaire, éviter de faire de la peine et surtout montrer aux autres personnes que ça nous rend encore plus important. En bref, diner tout en restant sur de soi. Je suis donc ce qu'on peut appeler... un habitué.
Je sors souvent seul au restaurant, pour toutes sortes de raisons, mais c'est surtout le seul endroit où je peux méditer dans une atmosphère qui me parait paisible. Les gens en général préfèrent les lieux isolés, silencieux... Non pas un lieu où un grand nombre d'individus parlent tout haut. Seulement, j'apprécie ce contexte, le fait d'être plusieurs dans une même pièce, tout en étant séparés, on se côtoie seulement par le regard, ou pas. Je fréquente seulement les grands restaurants, la haute gastronomie. Le bruit n'est pas le même aussi : le mélange du jazz aux différents timbres de voix de la pièce m'apaise assez, particulièrement quand je sors d'une rude dispute. C'est un bruit de fond constant, qui, lorsque je plonge dans mes pensées, me fait presque oublier qui je suis, où je suis et surtout tous les problèmes qui ont tendances à envahir mon esprit. C'est très variant comme réaction, mais seulement quand je suis seul. Vu de l'extérieur, je prends des airs assurant, alors qu'il m'arrive de plonger dans une large mélancolie, voire une blessante nostalgie. J'ai le choix de tout oublier ou de tout me remémorer.
Quand j'invite une fille c'est complètement différent, évidemment. C'est un autre Nicola qui prend le dessus, séducteur, arrogant, charmeur et parfois romantique pour l'occasion.
The Shores : à mon avis le seul restaurant « potable » de la Jolla, du moins, qui répond le plus à mes attentes. Sauf que ce n'était pas du jazz ce soir-là : un simple solo de piano, certes mélodieux, mais trop grandiose à mon goût. Incontestablement le restaurant était luxueux, spacieux ; il possédait aussi une vue étonnante sur toute La Jolla et l'océan Pacifique, mais j'ai vu mieux, beaucoup mieux ; ça ne m'a pas impressionné plus que ça. J'avais débarqué en costume noir simple, mais qui avait dû me coûter dans les 8OO dollars. J'étais surtout là pour faire mes marques cette fois-ci, critiquer, repérer la population. Le gérant du restaurant s'est précipité à mon arrivée et m'a installé au fond du restaurant, sans pour autant être proche de tus ces couples qui semblaient être au septième ciel. Leurs expressions me dégoûtait un peu, en particulier chez les hommes ; les femmes à la limite sont pour la plupart ainsi, mais les hommes... Il leur rendait ce regard d'admiration, d'excitation et de passion. C'était du romantisme à l'état pur. L'amour, non mais franchement, je ne sais pas comment ils font pour rester pendant des années avec la même personne. D'un autre côté, je respecte totalement en sachant que j'en suis pratiquement incapable. J'ai besoin de changement, de mouvement, et surtout de liberté : rester stable ne me ressemble absolument pas. La carte ne proposait pas un choix si large que ça. N'ayant pas réellement la tête pour choisir mon entrée, je sollicitai le serveur afin qu'il me ramène l'une des meilleures entrées qu'ils avaient ainsi que le plat du jour qui paraissait appétissant, du moins, à première vue.
Je me mis à déguster mon entrée une dizaine de minutes plus tard : un assortiment de fruit de mer, fraichement pêchés accompagné d'une sauce que je n'avais encore jamais savouré.
Une table plus loin -à ma droite- j'aperçus une jeune fille à la chevelure blonde vêtu d'une robe blanche : elle était seule depuis un bon moment déjà. Néanmoins, il me semblait l'avoir vu accompagné une petite demi-heure auparavant. Elle paraissait avoir fini, le serveur lui apportait l'addition. Je senti alors deux regards se braquer sur moi : le serveur me fixa, puis se dirigea vers moi, son addition dans les mains. Il m'aborda un peu embarrassé :
« Excusez-moi monsieur, mais cette demoiselle assise plus loin là-bas, prétend que vous êtes son amis et que vous êtes en mesure de payer sa note, elle a malencontreusement oublié son portefeuille. »
Je jetai un regard perplexe sur la jeune blonde qui semblait perdue et angoissée à l'idée de voir la situation se compliquer encore plus : elle me supplia à la fois du regard et des gestes. En guise d'accord, je lui lançai mon célèbre clin d'oeil. Le serveur se retourna et elle arrêta brutalement. Je rassurai le garçon en lui garantissant que tout allez bien, je m'occuperai de sa note, qu'il la mette sur la mienne. Dès qu'il fut parti, la mystérieuse jeune fille vint tout de même me présenter des excuses :
« Je suis désolée. J'ai dit la première chose qui me passait par l'esprit... Je vais vous rembourser, ne vous inquiétez pas. »
Elle était très embarrassé à l'idée d'avoir osé faire ça, mais à la fois surprise et soulagée que j'ai accepté sans aller me plaindre autour de moi.
De mon sourire en coin, je la rassurai :
« C'est des choses qui arrivent en particulier quand on nous laisse tomber... n'est-ce pas ? »
Elle me regarda avec de grands yeux, comme si j'avais touché le point sensible de sa soirée. Elle ne sut pas réellement quoi répondre. Je la remis à l'aise très rapidement :
« Asseyez vous, je vous en prie. Ne vous inquiétez pas pour le remboursement, il suffit juste que vous passiez le reste de la soirée avec moi et tout sera oublié. »
Elle me rendit mon sourire, un peu hésitante et surtout très gênée. C'était la première fois que ça m'arrivait, elle avait quand même eu un certain culot d'oser me demander cela, surtout à moi. A présent, je ne suis plus seul, l'autre Nicola ressort.
Histoire de rompre le silence récemment installé, je l'incitai à se présenter. Allumant une cigarette, je sortis :
« Au fait, je ne me suis pas présenté, je suis Nicola Marchetti et... vous êtes ? »
Avant de me répondre, elle n'arrêtait pas de frotter une main contre l'autre, comme si elle voulait les rendre plus douces. Après avoir expiré ma première bouffée de cigarette je plongai mes yeux au plus profond des siens tout en lui proposant :
« Excusez-moi, je ne vous ai rien proposé, vous désirez prendre quelque chose tant qu'on y est ? »